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mercredi 11 février 2015

Epilogue

Epilogue
- Dites-moi, Ophélie, pourquoi faites-vous tout ça ?

La question d’Hector plonge Ophélie dans une incertitude. Elle tient fermement un scalpel sur la jugulaire du professeur Stauros, tandis qu’il a le canon de son arme sur la tempe de David Tennant. La tension est à son comble. Mais le vieil homme semble vouloir lui faire entendre raison.

- Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Si vous le tuez, ma vie ne vaudra plus rien, alors autant partir avec le prof. Après tout, tout est de sa faute.

- Comment ça de ma faute ? Intervient Stauros.

- Si vous ne vous étiez pas lancé dans cette folle expérience, Elliot Guerréor serait mort. David aurait consolé sa femme pendant un moment, mais il serait vite revenu vers moi. Il le fait toujours. Il en a envie mais elle n’est pas son genre, trop larguée comme meuf.

- Évitez de parler comme ça de ma bru, il se pourrait que mon index se crispe subitement.

- Allez-y le vieux, vous faites le mariole, mais tuer de sang-froid, ça n’est pas donné à tout le monde.

Tandis qu’Ophélie en était à presser la lame sur la chair tendre du cou, au point de faire perler une goutte de sang, Hector remarqua le discret point rouge sur l’épaule de l’infirmière. Comprenant qu’il devait faire son possible pour écarter la menace pesant sur Stauros, il prit le problème autrement :

- Ok, vous avez sans doute raison, je baisse mon arme et vous faites de même.

Ce revirement soudain fit froncer les sourcils de la blonde. Mais tant qu’elle fixait son attention sur Hector, elle ne remarquait pas la menace. Il baissa doucement le revolver en l’écartant suffisamment pour qu’il ne braque personne. Elle lui demanda de le lancer sur le bout de son lit, en guise de bonne foi. Comme on le dirait dans un poker, Hector misait son tapis. Il s’exécuta. Le temps de déglutir lui parut interminable. Ophélie finit par baisser la main. Au même instant, alors que la lame se trouvait encore à une dizaine de centimètres du cou de Michel Stauros, une détonation déchira le silence. Sans comprendre ce qui lui arrivait, Ophélie lâcha le scalpel. Elle hurla de douleur et de surprise. Le coup de feu donna le signal à l’inspecteur Egala qui enfonça la porte encore verrouillée.

Cinq minutes plus tard, Stauros était détaché, Ophélie menottée. Alicia, alertée par les inspecteurs, était auprès de son beau père les yeux en larmes. Ce dernier lui posa un baiser sur le front et lui souffla :

- Ne vous inquiétez pas Alicia, c’est un battant, je l’ai vu, il va s’en sortir.

C’est sur cette phrase que Michel Stauros entra de nouveau dans la pièce. Il venait de recevoir des soins suite au méchant coup sur la tête qu’il avait reçu. Entendant les paroles d’Hector, il poursuivit :

- Je présume Hector que vous avez pu vous en rendre juge.

- Il raconte quoi l’autre crispé du bulbe ?

Mégère parvint à faire sourire son hôte. Mais il préféra répondre d’une autre manière :

- Plaît-il ? De quoi me serais-je rendu juge ?

- Eh bien, du fait qu’Eli soit un battant pardi. Vous l’avez rencontré, non ?

Alors que le professeur, sa bru et l’inspecteur Egala l’écoutait, Hector Guerreor raconta son voyage dans le rêve de son fils. Il ne se montra pas avare de détails, ce qui, pour un archéologue, aurait été un comble. Mégère lui soufflait parfois certains faits et il lui rendit la politesse en appuyant le « pat » (figure des échecs rendant la partie nulle) de leur combat. Quand il arrêta, les trois auditeurs rejoints en cours de route par l’inspecteur Landry, étaient figés, ébahis. 

- L’esprit humain ne cessera de me surprendre. Le scénario que j’ai écrit est une plaisanterie à côté de la version que vous nous contez.

- Certes, par contre, Inspecteur, comment en êtes-vous arrivé à sonner la charge ?

Tous les regards convergent vers Mike Egala. Ce dernier préféra laisser sa collègue raconter :

- Nous avons serré le directeur de l’hôpital qui entretenait une liaison avec Ophélie. Dès que nous lui avons mis la pression, il est devenu très bavard. En fait de liaison, la belle le faisait chanter. Il obtenait ses faveurs mais devait, en échange, altérer le scénario que vous implantiez à votre patient. Jusqu’au jour où la vidéo révéla une présence incongrue.

- Quel rapport entre le directeur et l’agression de mon patron ? Demande Alicia.

- J’y arrive. C’est David Tennant le cerveau de l’histoire. Il avait évoqué les grandes lignes de son plan dans le restaurant ou vous travaillez. Sans doute que votre patron aura entendu quelque chose. Nous le saurons peut être quand il sortira du coma.

- Professeur, pensez-vous qu’on puisse débrancher David Tennant ? Questionne Mike Egala.

- Je crains que non. Il va nous falloir attendre. Le plan de cet homme n’est pas sans faille. Elliot Guerréor est alimenté, par intraveineuse certes, mais tout de même. Ce qui n’est pas son cas. Or, il va vite décliner, manquant ne serait-ce qu’à boire. Etant donné sa situation de stress, les surrénales s’épuisent provoquant une insuffisance. Cette dernière peut aller jusqu’au choc hypovolémique.

- Peut-on accélérer le processus ?

- Oui inspecteur Landry, mais ça peut être dangereux, répond Stauros, pour lui, mais aussi pour Elliot.

- Parce que vous trouvez que mon fils ne souffre pas assez ?

Bizarrement, tous se tournent vers Alicia, qui n’intervient pas. Mentalement en train de peser le pour et le contre entre la situation actuelle et la proposition de l’inspecteur. Il n’y a pas besoin d’avoir fait médecine pour savoir qu’un corps mal hydraté ne donne pas tout son potentiel. Sans compter que l’esprit est lui-même impacté par la faiblesse physique. Ses sourcils se froncent, ses lèvres s’écartent, puis se referment. Quand soudain, elle se lève et sort. Les autres la suivent du regard, seul Michel Stauros lui emboîte le pas.

- Je vous demande de tout faire pour qu’on déconnecte David d’Eli. Je ne veux pas que ce malade passe plus de temps dans son esprit.

- Vous rendez vous compte de ce que vous me demandez Alicia ! Provoquer une hyperthermie est enfantin, il suffit de pousser les radiateurs à fond. Mais le risque se situe dans la réaction face à l’accélération de la déshydratation.

- Eli risque-t-il quelque chose ?

- Étant donné qu’il est hydraté par intraveineuse, je dirais qu’à priori non. Mais je ne peux pas le cautionner. 

- Michel, je pense que vous devriez aller vous faire de nouveau examiner, vos pupilles sont dilatées, vous devez avoir une commotion.

Le professeur comprit le message. Son serment ne lui permettait pas de mettre en danger la vie, fusse-t-elle d’un tueur. Alicia fit sortir tout le monde et demanda à un infirmier de prendre en charge Hector. Ce dernier avait vu la détermination de sa bru. Il fit taire Mégère et donna son assentiment. Mike Egala prit tout de même la précaution de menotter David Tennant. Tous entrèrent dans le bocal pour suivre les événements.

Le thermomètre affiche une température toujours plus élevée. La sueur perle au dessus des sourcils des deux hommes, puis coule en sillons irréguliers. Si la poitrine d’Eli se soulève doucement, on peut remarquer les premiers signes de fébrilité chez David. Sa tête penche en avant, ses épaules se voutent. 

- C’est du sang qui coule de son nez ? Fait remarquer Kat.

- On devrait peut être prévenir Stauros, qu’en pensez-vous Alicia ?

- C’est hors de question inspecteur. Soit il se réveille, soit il meurt, mais il faut que ça cesse !

Les deux inspecteurs se regardent perplexe. Mike Egala reconnaît la lueur qui scintille dans le regard de sa partenaire. Elle va sortir, et prévenir le prof. Si le serment d’Hippocrate empêche Stauros de prendre part à cette expérience, ils ne peuvent cautionner la mort d’un homme. 

X

C’est incroyable ! Basile a l’air d’être carrément ailleurs. Ses coups passent à des kilomètres d’Eli. Son visage est couvert de sueur, son regard est fiévreux. Si au début de l’affrontement, il était impossible de dire lequel avait le dessus, maintenant ce n’est plus le cas. Les deux combattants sont harassés. Eli donne l’impression d’avoir des poings pesant des tonnes. Sa garde est basse et son jeu de jambes fatigué. Basile est marqué par les coups reçus mais aussi par un mal étrange. Ses lèvres sont desséchées. Son teint s’altère, comme s’il était nauséeux. Soudain il se met à crier :

- Tu ne pouvais pas mourir comme le commun des mortels ! Non ! Monsieur Eli s’accroche ! J’ai mis des années à la convaincre de te débrancher ! Et quand elle le fait, tu nous fais une résurgence.

- T’es en train de me dire que tu m’affrontes pour ma femme !

En découvrant cette vérité, Eli est frappé par un tourbillon d’images. Tout ce que Stauros lui a implanté à chaque sens récupéré ressurgit. Mais plutôt que d’être un assemblage décousu d’images, c’est le kaléidoscope de sa vie. Chaque moment, chaque souvenir le frappe de plein fouet jetant à terre ce qu’il prenait pour la réalité. Plongé dans une sorte de transe, il ne doit son salut qu’à la grande faiblesse de Basile qui tombe à genou. Quand le maelström pictural cesse, Eli voit le décor qui l’entoure disparaître. Il ne reste bientôt qu’à deux dans une immensité blanche. Impossible de savoir ou est le haut du bas, rien n’existe plus que les deux hommes agenouillés au sol. L’un est pris de vomissement, tremble comme une feuille. L’autre regarde autour de lui et éclate de rire.

- Basile, ou devrais-je dire David. Jamais elle n’aurait été à toi. Même si j’avais baissé le rideau, elle n’aurait jamais trouvé le réconfort dans tes bras.

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Répond David entre deux spasmes.

- Simplement parce que c’est la personne la plus pure qu’il m’ait été donné de rencontrer. L’amour qu’elle m’a donné m’a rendu meilleur parce que c’est la plus belle part de sa personne. Et elle me l’a offerte en dot. Si tu avais été un ami, tu n’aurais même pas pu imaginer un tel scénario possible.

- Tu me fais gerber avec ta poésie à deux balles. T’es pitoyable.

- Peut être, mais ce n’est pas moi qui suis à genou en train de vomir mes tripes. Tu as deux solutions, tu te rappelles ta formule : Soit, tu retournes d’où tu viens et tu vis, soit tu restes et tu meurs. Contrairement à toi, je ne te ferai pas souffrir, mais tu ne peux plus rester dans ma tête.

A peine Eli a-t-il finit sa phrase qu’il se met à grandir, il devient colossal. David se lève tant bien que mal et se met à courir dans la direction opposée, le bras soutenant son ventre. Quand il se retourne, il aperçoit un géant haut comme un immeuble de trois étages. La panique le gagne, d’autant plus qu’il le voit faire un pas vers lui. Alors qu’Eli se met à courir, David disparaît, comme s’il était tombé dans un trou. A ce moment précis, l’immense décor d’un blanc uni commence à s’estomper, laissant apparaître des formes. Il comprend qu’il recouvre la vue. Les ombres nimbées d’un halo se précisent. Il y a quelqu’un assis à ses côtés qui lui tient la main. Mais son regard est attiré par du mouvement à sa droite. Alors que les détails se précisent, il voit l’une des dernières personnes qu’il avait vues avant de plonger dans la nuit. Un homme grand, musculeux et quelque peu dégarni. Il emmène son adversaire qui est menotté. Il croise son regard qu’il lui indique l’autre côté avec un clin d’œil.

Alcinoa, non, Alicia est là assise sur le bord du lit. Ses yeux sont pleins de larmes. Elle s’approche et lui pose un baiser sur les lèvres. Puis, dans un sanglot elle lui souffle :

- Bon retour mon amour, tu m’as tellement manqué.

dimanche 25 janvier 2015

Partie 5 - Chapitre 12 - Eli

Partie 5 - Chapitre 12 - Éli.
Jamais il ne m’a été donné d’affronter un tel adversaire. Vif et tout à la fois percutant, il réplique coup pour coup. Nos boucliers résonnent sous les assauts. Nos gladius vibrent dans nos mains, rendant leur prise incertaine. Après quelques minutes, nous sommes tout deux en sueur. Les gouttes dessinent des sillons dans la poussière agglomérée sur notre peau. Aucun de nous deux n’a réussi à percer la défense de l’autre. Pour l’instant, nous alternons les phases de replacement qui permettent de reprendre notre souffle, avec celle d’affrontement violent. 

Je n’ai pas utilisé les éléments. Lui non plus. En est-il capable ? Je n’en sais rien. Je ne peux me permettre de laisser vagabonder mon esprit. J’ai l’impression d’être enfermé dans une pièce minuscule avec un félin en furie. Ce qui me dérange le plus, c’est sa capacité à anticiper mes attaques. Il arrive toujours à effectuer la meilleure parade. Mais je lui rends la politesse. Si c’était possible, je jurerai que nous avons eu le même maître d’arme.

Les minutes s’enchainent. Notre respiration devient rauque. Mon gladius et mon bouclier me paraissent bien plus lourds. Je ne comprends pas qu’aucun de nous ne parvienne à toucher l’autre. Il semble que je ne sois pas le seul à en être agacer. Mon adversaire pousse un hurlement sur un fendant parfait qui passe à quelques millimètres de mon abdomen. Je le comprends, j’ai, moi aussi, eu envie de pester quand mon attaque de taille se révéla vaine. Est-ce là sa faille ? Peut être est-il trop impulsif ? Ou alors, il n’a jamais eu à batailler si longtemps. C’est bien souvent le problème quand on excelle dans un domaine. Quand on affronte un de ses pairs, ce n’est pas la technique qui permet la victoire, mais le mental. Il s’est éloigné de moi et tourne comme un lion en cage. Il cherche l’ouverture que je lui refuse. C’est alors qu’il change de direction. Je le suis du regard, aux aguets. Il avance rapidement, un pas à la limite de la course. Je le fixe tellement que ceux qui nous entourent ne sont que des esquisses estompées. Sans me quitter des yeux, il frappe dans la foule. Car, petit à petit, des monstres sont apparus. Ceux qui nous tenaient en joue. Ils ont formé un cercle autour de nous, vociférant des encouragements à leur maitre. Peu habitué à un combat qui dure, ils sont devenus de plus en plus nombreux. Mais pourquoi frapper l’un des siens. Sauf que, mon œil fait le point. La personne qui l’a blessé n’est pas un monstre. C’est Alcinoa !

Il sait exactement ce qu’il fait. Voir ma fée tenir son ventre duquel sort sa lame me fait l’effet d’un électrochoc. La décharge d’adrénaline me rend furieux. Je ne remarque pas de suite que Basile ne fait rien, si ce n’est, hocher la tête en signe d’assentiment. L’autre éclate de rire, tout en parant ma charge. Il utilise ma force pour me déstabiliser. Et pour la première fois depuis le début du combat, il me touche. Une belle estafilade sur la cuisse, qu’importe, je me tourne vers Alcinoa. L’avantage d’être blessé, c’est que ça remet les idées en place. 

- Ce n’est pas profond, Eli. ATTENTION !

Je roule sur le côté. Son arme s’abat sur le sol en y arrachant des étincelles. En peu de mots, elle a tenté de me rassurer. N’empêche que j’ai du mal à m’enlever l’image des yeux. Mon regard passe de mon adversaire à mon amie. Celle avec qui j’ai traversé une partie de la Grèce. Celle pour qui je fais cette quête. Je ne peux pas me relâcher. Tout ce que nous avons enduré se résumerait à un gigantesque fiasco ? La rage monte à nouveau, mais cette fois elle est retenue. Je regarde l’autre fanfaronnait en faisant des moulinets avec son arme. Il l’a lance de façon qu’elle fasse un tour et il l’a rattrape par la garde. J’attends le bon moment, maintenant !

Je balance mon gladius. Il fend l’air en tournant sur lui-même tel un boomerang. Je suis tombé dans son piège. Il voulait que je lance mon arme afin d’avoir l’avantage. Il donne un coup de bouclier et mon épée bifurque vers le sol. Elle se fige dans la pierre, ce qui arrache un rire au Jarkore.

- Bien, je ne sais pas comment tu as fait pour parvenir à me résister si longtemps, mais maintenant, ça va être vite fini.

Je laisse tomber mon bouclier au sol. Ce qui a l’air de le surprendre.

- On dirait que tu veux que ça aille encore plus vite ! Très bien, tes désirs sont des ordres !

Il attaque. Nous avons maintenant une différence notable en termes de poids. Certes, il a une arme et un bouclier, mais moi, j’ai gagné en rapidité de mouvement. Et, je ne sais pas pourquoi, j’ai des souvenirs de mes combats avec mon père qui émerge. Je nous vois en train de nous affronter, l’un armé et l’autre non. Je sais ce qu’il me reste à faire. J’esquive sa charge et administre un petit coup de pied arrière entre ses omoplates pour accroitre son élan dans le sens opposé. Son rire jaune trahit sa surprise et son énervement. Il ne s’y attendait pas. Si je me débrouille bien, je peux peut être récupérer mon arme. 

Je jette un œil vers Alcinoa, elle s’est assise au sol. La tache rouge rubis s’étend davantage. Elle blanchit à mesure qu’elle se vide. Elle n’y survivra pas. Je la vois marmonner. Je profite d’une nouvelle esquive pour m’approcher. Je ne perçois qu’un bout de phrase :

- … car tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un…

Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. En tout cas, pas autrement que par saccade, entre chaque attaque. Il est vif le bougre, malgré le poids supplémentaire. Mais il a un gros point faible : il est trop sûr de lui. Depuis le début du combat, nous nous affrontions à armes égales. Je n’ai pas voulu me servir des éléments, je ne sais pas l’expliquer. Une sorte de code d’honneur du combattant, allez savoir. Maintenant, c’est différent. Mes doigts fourmillent sous l’afflux électrique. Pourquoi cet élément ? Parce qu’il me booste. Au moment de son attaque, j’accélère mes mouvements, ce qui me permet de lui administrer un gros coup de point dans le masque… 

Aïe…Un masque en métal. Je vais plus vite, mais je ne suis pas insensible. Alors qu’il se récupère de la violence de mon crochet, je réalise que son masque est au sol. Un grondement se fait entendre dans les spectateurs qui nous entourent. Le Jarkore se rend compte que s’il se retourne, je verrais son visage. Le temps est comme figé, quand soudain, il est déchiré par un cri :

- Eli ! Il faut que l’on fusionne ! Maintenant !

Je me tourne vers Alcinoa, elle est allongée sur un côté, livide presque. Comment pouvons-nous fusionner ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, elle prononce sans voix :

- Fais comme moi !

Elle met ses dernières forces dans une ultime utilisation des éléments. Elle devient l’air. Toujours allongée au sol, elle m’invite à la rejoindre d’une main tendue vers moi. Je fais un pas vers elle en intimant à mon corps de se muer en fumée. Juste à temps pour voir le gladius du Jarkore me traverser. Il enrage devant l’impossibilité de me faire le moindre mal. Sans me préoccuper de sa rage, je m’approche d’Alcinoa. Ses deux bras sont ouverts, on la dirait voulant me donner une dernière étreinte. Seulement, au moment précis ou nous entrons en contact, un vent violent se met à tournoyer autour de nous. Nous sommes l’épicentre d’une tornade. Alors qu’elle nous décolle de terre, tous ceux qui nous entourent tentent de se protéger les yeux de la poussière et du sable qu’elle soulève. Les membres d’Alcinoa s’enroulent autour des miens. Son corps enveloppe le mien. Le bruit de la tornade est assourdissant, pourtant j’entends ses paroles dans ma tête :

- Tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un !

Je suis elle, elle est moi, nous ne sommes que les deux faces d’une même pièce. A l’instant où mon cœur enregistre cette information, elle disparait et le vent cesse. Je suis au sol, enfin, l’un de mes genoux. Mes deux poings sont devant moi. En fait, j’ai la position d’un chevalier qui se fait adoubé. J’essaie de mettre de l’ordre dans mes pensées, dans nos pensées, car je l’entends hurler :

- ATTENTION !

Je me détends en envoyant mon pied en arrière, à l’aveugle, quoique sachant exactement ou frapper. Je touche le Jarkore à l’abdomen, mon talon écrasant le plexus. J’entends arme et bouclier tombé au sol, puis mon adversaire qui s’affale, manquant d’air. Je me redresse doucement. Une fois debout, je fusille du regard tous ceux qui m’entourent. Chaque monstre a un mouvement de recul. Jusqu’à ce que je croise les yeux de Basile. Il a un sourire aux lèvres. Il n’est plus le monstre, ni celui qui me devait la vie. Pourquoi l’ai-je délivré de sa prison de pierre ? Parce que je suis un humain. Comment l’oracle a-t-elle parlé de lui ? Un parasite ! « Même si sa présence ne s'explique pas, il participera à votre victoire. Car celui qui l'a amené parmi vous ne peux plus l'affecter ». Il semblerait que ‘celui qui l’a amené’ a décidé de venir en personne. Tout en gardant son sourire, il se saisit d’une lance et la précipite dans un geste. Je m’écarte prestement, mais je suis surpris par le bruit sourd qui retentit. Je me tourne. Le Jarkore est empalé, la lance en pleine poitrine. C’est à ce moment que je saisi l’horreur du spectacle. Le Jarkore, c’est moi ! Il chancelle, je me tends pour l’empêcher de basculer en avant. Quand mes mains entrent en contact avec sa peau, le décor qui nous entoure s’efface comme un dessin sur le sable. Nous sommes debout, au milieu d’une pièce étrange, une chambre d’hôpital. Le Jarkore, moi, suis allongé dans un lit. A côté de moi, Basile ! Il est relié à moi par une série de câbles. Il est dans ma tête. Un peu plus loin, sur le lit d’à côté, mon père, vivant ! Il tient en respect une… une infirmière ? Mon attention revient sur le Jarkore qui me parle en gargouillant :

- Je viens de te rendre la vue… C’est… la vraie vie… Mais si tu meurs… Tu ne la retrouveras… jam…

Le décor est à nouveau la place au pied des Propylées. Le Jarkore disparaît en poussière. Seule la lance touche le sol dans un bruit qui me transperce. Ainsi, mon père avait raison. Tout ceci n’est qu’un rêve.

- Un rêve dont il faut te réveiller. 

Cette voix dans ma tête, Alcinoa ! Je suis abattue. Toutes ces épreuves, ça n’est que du vent. Pourquoi m’avoir fait endurer tout ce cinéma ? J’ai bien d’autres questions en tête, mais le rire de Basile me ramène à ma réalité : un combat plus âpre encore.

- Alors Eli, comment tu vas ? Ton adversaire est mort, grâce à moi ! Ta fée…, n’est plus de ce monde. En fait, tout ton monde s’écroule. Il ne te reste plus qu’une chose à faire. Comme tout capitaine de navire, tu dois sombrer avec. Tu as donc deux choix : le premier, tu t’agenouilles, je te tue sans que tu ne souffres. Le second : tu veux te battre, et là, et bien, comment dire ? Je ne peux pas te garantir que tu ne souffriras pas. Alors, que choisis-tu ?

Je suis toujours désarmé. J’ai la lance à mes pieds, et mon gladius a quelques mètres. Par contre, Basile est frais comme un gardon, il a son arme à la main et il ne s’attend pas à ça. Il prend mon poing en pleine figure. Mon geste a eu une telle rapidité qu’il en bascule en arrière. Je place mon pied sous la hampe de la lance et je me la redresse pour la saisir tout en répondant à son choix : 

- Je choisis le deux ! Mais je ne vais pas être celui qui va souffrir.

Je crie en grecque ancien aux monstres qui sont toujours autour de nous :

- Il a tué votre maître ! Allez-vous le laisser faire ? Celui qui le tuera aura sa force !

Ce dernier argument fait bouger les choses. Mais c’est sans compter sur la sauvagerie de mon adversaire. A peine est-il sur ses pieds qu’il donne quelques coups aux plus téméraires qui disparaissent en poussière. Du coup, les autres se contentent de le tenir en respect en maintenant le cercle autour de nous. Sans doute me pensent-ils capable d’en venir à bout.

- Bien essayé ! Mais ce ne sont que des animaux. Quand tu poutres les plus courageux, les autres s’écrasent. Maintenant, à nous deux, et comme des hommes.

Contre toute attente, il laisse tomber ses armes et armures. J’ai toujours la lance en main, il ne me faudrait qu’un geste pour en finir. Mais je la plante dans le sol. C’est un combat à mains nues. Je me mets en garde, attendant son attaque.

lundi 12 janvier 2015

Partie 5 - Chapitre 11 - Hector

Partie 5 – Chapitre 11 – Hector.
- Réveille-toi ! Allez !
- Hum…
- ALLEZ LE VIEUX, réveille-toi ! MAINTENANT !
- Allons bon, j’étais certain de l’avoir poutrer cette mégère !
- Autant à ton service, vieux bouc, je me rappelle d’un double impact. Personne n’en est sorti vainqueur.
Mégère arrive, pour la première fois, à me soutirer un sourire. La sensation est extrêmement désagréable. On dirait que ma bouche est en carton. Suis-je assoiffé à ce point ? A moins que c’est d’avoir été changé en arbre ?
En entendant Mégère me répondre mentalement, la scène de notre mort me revient à l’esprit. Soudain, je me rends compte que les premières paroles n’étaient pas les nôtres. Non, d’ailleurs, la conversation continue :
- Aïe ! Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Pourquoi suis-je attaché ?
Je reconnais cette voix, c’est celle du Professeur Stauros. L’autre, la voix de femme, doit être son assistance. En tout cas, elle porte le même parfum entêtant.
- Vous êtes attaché pour ne pas gêner l’opération.
- Quelle opération ? De quoi parlez-vous ?
J’aimerais bien le savoir aussi. Seulement, la prudence me dicte de ne pas ouvrir les yeux. Il faut que j’arrive à les situer dans la pièce pour agir au bon moment. Je fais un effort violent pour me souvenir de la pièce. Mégère ne me rend pas la tache facile.
- Il est trop tard de toute façon, le mal est fait. Je ne peux pas réparer les torts causés.
Je ne le sais que trop. C’est déjà en soi un miracle que je sois encore en vie. Je dois encore le rester, pour Eli. J’ai beau réfléchir, pas moyen de me souvenir. Les images dans ma tête sont celles de la Grèce antique.
- Comment tu sais que c’est de la Grèce antique ?
Voyons, Mégère, tu sais bien que nous nous sommes affrontés dans la périphérie de Delphes. Une première fois avant qu’Eli n’y entre et la seconde, après qu’il en soit sorti.
- Décidément, il faut que je fasse tout à ta place ! Et peux-tu m’expliquer pourquoi nous ne sommes plus dans l’antiquité ?
Le rêve ! Bien sûr, merci Mégère, ça me revient. On est venu à l’hôpital pour entrer dans le rêve d’Eli. C’est Stauros qui lui a créé un rêve artificiel basé sur la Grèce. Tu étais la chimère et moi, Bellérophon.
- Piètre héros.
Je ne relèverai pas ton sarcasme. Donc, si les choses sont dans le même état qu’à notre arrivée, je dois être dans le lit contre le mur et Eli dans celui le long de la fenêtre. Stauros doit être plutôt vers le bout de mon lit et son assistance vers la fenêtre. Oui, c’est ça, d’ailleurs elle est ouverte. Parce qu’elle fume. Je n’ai donc qu’à attendre qu’elle recrache sa bouffée pour ouvrir les yeux. Maintenant !
C’est bien ça. Par contre, je ne connais pas le gars qui est entre nos lits. Il est relié à Eli par les connections cérébrales que j’ai utilisé pour entrer dans son rêve. L’assistante doit être de mèche avec lui, elle le protège, c’est pour ça que Stauros est attaché. Comment vais-je pouvoir l’aider ? Pas question de bondir du lit, la distance est trop importante. De plus, elle est armée. Faut que je regarde à nouveau.
Voilà. Eli a le sommeil agité, c’est pas bon signe. Il doit être dans un combat. Par contre, l’autre a le sourire aux lèvres. Qu’est-ce que ça veut dire ?
- A ton avis ? Qu’il assiste à quelque chose qui lui plait !
Elle a raison. Il n’est donc pas là pour aider Eli. Il faut que je fasse quelque chose.
- Bien sûr, un dernier acte héroïque. Mais regarde de toi ! On est plus en Grèce antique. T’es tout vieux et tremblant. Si tu te lèves, je suis sûr que tu t’écroules.
 Merci Mégère. Encore une fois, tu me donnes la solution.
- Comment ça ? Je ne comprends pas. Explique-toi vieillard.
Je n’ai peut être pas la force de lui sauter dessus, mais je peux utiliser ma faiblesse pour l’amener à moi. Il me suffit de feindre un malaise, elle se rapprochera. Quand elle posera son arme pour me soigner, je la lui prendrais. C’est simple.
- Tu te rends compte que tu débloques grave ?
Voyons, un peu de salive, et quelques suffoquements.
- Ophélie, Hector Guerreor s’étouffe. Il doit avoir un œdème des suites d’avoir été intubé.
- Je m’en fiche, il n’a qu’à crever le vieux. Je dois surveiller que tout se passe bien pour David. Le reste n’a aucune importance.
- Vous ne pouvez pas dire ça ! Ce n’est pas vous. Ophélie, vous avez fait vos études de médecine. Qu’on soit médecin ou infirmière, on se voue à la santé des patients. Vous ne pouvez pas tout sacrifier pour un mec.
- C’est vous qui m’avez jeté. Je ne fais plus parti de l’effectif de cet hôpital. Vous aviez qu’à y réfléchir avant de me virer.
- Je ne voulais pas vous virer, j’y ai été contraint par la direction.
- Vous mentez, le directeur ne m’aurait pas viré, il aurait eu trop peur…
- Trop peur de quoi ?
- Laissez tomber.
- Non, je ne laisserais pas tomber. Sauvez cet homme. Je vous en prie ! Sinon, détachez-moi.
- Et puis quoi encore.
- Qu’est-ce que vous risquez ? Vous êtes armée, pas moi. SAUVEZ LE OU DETACHEZ MOI !
- Tu vas la fermer !
Pauvre Stauros, il se prend un coup. Mais il arrive à ses fins. Elle s’approche de moi. Je m’arc-boute pour accentuer l’impression que je m’étouffe. Bingo ! Elle pose le flingue sur le lit, juste à côté de ma tête.
- Elle va voir que tu simules !
La réflexion de Mégère me donne une décharge électrique. Le stress m’envoie de l’adrénaline. Sans réfléchir, je donne un violent coup de tête en avant. Mon coup de boule est loin d’être académique, mais il frappe en plein sur le zygomatique, l’os sous temporal. Surprise tant par le geste que par la douleur du choc, Ophélie recule d’un pas en se prenant le visage dans les mains. Ce n’est pas une criminelle. Elle n’a pas le réflexe de prendre son arme. J’en profite. Quand elle ouvre à nouveau les yeux, c’est pour découvrir que je tiens son flingue. Enfin, pour l’instant. Il est lourd et je suis beaucoup plus faible que je ne le pensais.
- Rend moi cette arme vieillard. Tu risques de blesser quelqu’un.
Ce n’est pas une criminelle, mais elle a de la suite dans les idées. Elle approche. Je tire. Le son est étouffé pas le silencieux mais Eli et celui qui à côté sursautent. Le carreau dans lequel j’ai tiré vol en éclat. J’ai réussi ce que je voulais, elle recule.
- Détachez-le !
- Vous rigolez ? Vous avez à peine assez de force pour tirer une balle dans une fenêtre. Vous n’aurez pas le cran de me tirer dessus. Vous n’êtes pas un tueur. Alors, vous pouvez garder l’arme, je n’en ai pas besoin. Bientôt David rejoindra votre fils et le tuera. Mourir dans son rêve fera de lui un légume, ce qui en soit, ne le changera pas beaucoup.
- Ecoutez le Ophélie, je ne porterais pas plainte, souffle Stauros.
Je me rends compte que mon baroude d’honneur n’a pas servi à grand-chose. Certes, j’ai l’arme, mais je n’ai pas la force de m’en servir comme il faudrait. Elle a raison, je n’ai pas envie de la flinguer en lui tirant dessus.
- Ahahah ! Quel pitoyable tableau ! T’as réussi à lui piquer son arme, mais tu ne peux pas t’en servir. Du coup, ton fils va mourir sans que tu ne puisses rien faire.
Encore une fois, la phrase acerbe de Mégère me transperce. Mon cerveau amoindri va à cent à l’heure. Comment vais-je pouvoir aider Eli ? Je ne veux pas rester le spectateur de son trépas.
- C’est pourtant ce qui va se passer, sauf si tu as un regain d’énergie.
Pas besoin d’un regain d’énergie. Je tourne l’arme vers la tête de mon voisin. Le regard d’Ophélie marque la surprise. Je lui dois bien une explication :

- Vous n’êtes pas sans savoir que je suis un mort en sursis. Il ne me reste plus longtemps à vivre. S’il y a une chose que je peux encore faire, c’est permettre que mon fils me survive. Votre partenaire doit rejoindre mon fils, dans son rêve, pour le tuer. Si je le tue avant qu’il n’atteigne son but, mon fils vivra. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

samedi 15 novembre 2014

Partie 5 - Chapitre 10 - Basile

Partie 5 - Chapitre 10 - Basile.
J’ouvre les yeux après un battement de paupières. C’est la première fois que je vois cette pièce. Les murs sont faits de torchis. Le plafond est en bois, des planches grossières qui laissent apparaître le chaume qui doit servir d’isolant. Sur ma droite, face à la porte d’entrée, une cheminée dans laquelle pend un chaudron. Le sol est en terre battue. Les meubles sont en bois rudimentaire.
Face à moi, deux personnes. Elles me tournent toutes deux le dos. Elle, une fée gracieuse qui porte une armure qui lui retient les ailes dans le dos. Elle arbore une longue chevelure tressée à la couleur nuancée de rose au parme. Ses courbes sont voluptueuses, à damner un saint. Heureusement, je n’en suis pas un. Lui, peut être. Il a les mains posés contre le mur, de chaque côté d’une fenêtre ridiculement petite. Il regarde au sol en secouant la tête dans un mouvement de négation. Comme s’il était blasé par quelque chose. Les deux se tournent vers moi. Elle a un regard mitigé. Il me transperce des yeux. C’est fou, j’ai vraiment l’impression d’être dix ans en arrière, mais dans un péplum. J’ai devant moi, Elliot Guerreor attifé comme un fantassin et sa femme transformée en fée.
- Basile, tu les as amené jusqu’à nous !
Qui est ce « Basile » ? Moi ? On dirait bien qu’il me parle. A moins qu’il n’évoque un personnage qui n’est pas présent.
- Euh, plaît-il ?
L’entrée fracassante d’un soldat grec me sauve la mise.
- Le général Léonidas vous fait mander.
La fée entraîne Eli à la suite du spartiate. Elle se tourne vers moi et me dit :
- Viens Basile, ne t’inquiète pas, ça va lui passer.
En passant devant la fenêtre, je vois mon reflet. Je suis, moi-même, revêtu d’une armure de cuir cloutée, d’une large ceinture à laquelle pend une épée. Je porte une jupe, non, ce n’est pas possible ! Quelle honte d’être fringué de la sorte. Pourtant, tous les soldats que je croise portent le même type d’accoutrement. Il n’y a bien qu’Eli pour rêver de choses pareilles. Je suis tellement accaparé par l’environnement que je manque de lui rentrer dedans alors qu’il vient de s’arrêter. J’ai là l’occasion rêvé d’en finir avec lui. Je n’ai qu’à dégainer et lui enfoncer ma lame à la base du cou. J’en suis encore à tâter la poignée de mon arme, plongé dans l’indécision, quand il s’écarte. Je fais maintenant face à un colosse en armure dorée. Elle est tellement sculptée qu’on la dirait moulée sur son corps sculptural. Il porte à la main son casque de guerre dont la bannière rouge ondule au vent. Son visage est fermé. Il a les traits taillés à la serpe. Son regard est pénétrant, il affirme son autorité uniquement en vous fixant. Mais quand il se met à parler, sa voix ne tolère aucune contestation.

- Est-ce toi qui a amener le Jarkore jusqu’à nous ?
Vu la tronche qu’il tire, je ne sais pas quoi répondre. Ma seule certitude est que j’ai plutôt intérêt à donner la bonne réponse. Le problème, c’est que je ne me souviens pas d’avant. Quoi, vous ne suivez pas ? Bien, je vous explique. Je ne suis pas Basile, je suis dans son corps. Euh, non, je ne suis pas le basilic, lâchez-moi avec ça ! Bon ! Tanpis, je lui réponds :
- Je n’en sais rien. C’est possible…
Ma réponse évasive a le mérite de m’accorder un sursis. A moins que ce ne soit ce que l’on entend :
- GRECS ! LIVREZ-MOI VOS INVITES !
- JAMAIS !
- Général, avant de répondre de la sorte, vous feriez mieux de regarder à l’extérieur d’Athènes ! Lui répond le Jarkore, enfin je crois.
Au même instant, un soldat chargé de veiller sur le mur d’enceinte s’écroule, le corps criblé de flèches. Celui qui nous harangue continue :
- Vous ! Spartiates ! Etes-vous réellement prêt à mourir ici, dans une ville qui vous a tant fait souffrir dans le passé. Une ville que vous avez toujours détestée !
Je ne sais pas qui il est, mais il semble bien renseigné sur l’histoire de la Grèce antique. Visiblement, en titillant les spartiates de la sorte, on sent bien monté la grogne. C’est alors que Léonidas répond :
- Nous ne laisserons pas des grecques, fusses-t-ils Athéniens, périrent par des mains de monstres ! Maintenant, plutôt que de crier de loin, VENEZ GOÛTER AU FER SPARTIATE !
Tous les soldats du Général poussèrent un cri en levant leurs armes. Si je n’ai pas sursauté quand Léonidas a levé le ton, j’ai du me plaquer les mains sur les oreilles quand ils se sont tous mis à hurler. Mais qu’est-ce que je fous ici ? Oui, je sais, je suis venu pour celui qui maintenant s’adresse au général en lui parlant à l’oreille. Je ne sais pas ce qu’il lui dit, mais il me toise d’un air sombre.
- C’est hors de question ! Vous êtes un héros, mais je ne peux pas vous laisser seul face au Jarkore.
- Je ne suis pas seul, général. J’ai Alcinoa et Basile à mes côtés. Nous avons passé à travers tellement d’épreuves, que je suis sûr que nous relèverons ce nouveau défi. Sans compter que vous aurez à défendre Athènes.
- Il faut déjà qu’ils franchissent les murailles, ça nous laisse…
Si ce bon vieux général voulait dire « du temps », je crois qu’il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le craquement du bois sous les coups de bélier ne présage rien de bon. Par contre, si Eli arrive à le convaincre, ça fera mes affaires. Une fois seuls, je pourrais facilement le terrasser. Si nous devons faire face à un adversaire, il n’y aura rien d’étonnant à ce que j’ai l’arme à la main. Une fois Eli à terre, il ne me restera qu’à retourner d’où je viens et j’aurais gagné.
- Bien, je crois que je n’ai pas le choix. Nous ne pourrons pas tenir à 300 sur deux fronts. Si le Jarkore veut vous avoir, nous aurons les coudés franches pour faire face à l’armée qui veut entrer. Bonne chance Eli.
Ce dernier se tourne vers moi. Il me fait un signe de la tête pour m’inviter à le suivre. Il me passe devant, la fée lui emboîte le pas. J’ai toujours la main crispée sur la garde de mon glaive. C’est alors que je le voie saisir son arc, il nous mène au combat, c’est le moment. Ma lame est à la moitié du fourreau quand il se retourne pour me parler :
- Basile, Alcinoa, le général pense que le Jarkore tient l’acropole. Il ne pourra donc nous rejoindre qu’en descendant l’escalier qui est au bout de cette rue. J’attends de vous que vous vous mettiez en planque de chaque côté.
- Je ne suis pas d’accord. Il faut que nous fassions front ensemble Eli !
Oulà, il y a de l’eau dans le gaz entre les époux Guerreor. Par contre, je suis d’accord avec elle, car si nous ne sommes pas ensemble, je n’atteindrais pas mon but. Je n’ai pas envie de rester plus que nécessaire dans ce rêve débile.
- Moi aussi, je suis pour. L’union fait la force, si on se sépare, le Jarkore nous vaincra.
Le visage d’Eli se crispe. Il n’apprécie pas mon avis. Je décide d’enfoncer le clou :
- Tu n’as aucune chance sans nous.
Il se décompose. Je dois toucher exactement le point sensible. Si je continue, il va exploser. J’aurais ainsi l’occasion de le vaincre. Je dois le pousser à s’en prendre à moi.
- Combien de fois est-ce que je t’ai sauvé la mise, hein ? Qu’est-ce qui peut bien te faire croire que tu le battras, toi seul ?
Je vois son visage blanchir. Je connais bien Elliot Guerreor. Quand on arrive à ce niveau, il est déjà bouillant de colère. Il ne tolère pas qu’on doute de ses capacités. Seulement, il a une chance insolente, celui d’avoir une femme exceptionnelle. La fée intervient :
- A quoi tu joues Basile ? Tu crois peut être que nous aurions pu survivre sans le concours des uns et des autres ? Tu dois la vie autant à Eli, que lui te la dois. C’est en équipe que nous sommes parvenus jusqu’ici, c’est en équipe que nous continuerons.
Cette dernière phrase était plutôt destinée à Eli qu’à moi. J’ai un sentiment étrange vis-à-vis de cette fée. Elle a les traits d’Alicia, mais pas son caractère. C’est bizarre, on dirait… Non, ça n’est pas possible. Je n’ai pas le temps de réfléchir davantage. Plusieurs flèches à l’empennage noir se figent au sol à moins d’un mètre de nous. Vu la façon dont elles se sont plantées, les archers auraient pu nous avoir. C’est pour attirer notre attention et c’est réussit.
Je lève les yeux vers les escaliers qui mènent aux Propylées. Sortant de l’ombre des colonnes, un homme athlétique se dirige d’un pas sûr vers nous. Sa voix s’élève, portée par l’acoustique de l’environnement.
- Si vous tentez de m’atteindre de loin, mes archers vous transperceront !
Il est trop tard pour le duel face à mon adversaire de toujours. Il va nous falloir déglinguer ce pantin avant que je puisse lui donner sa dernière leçon. Eli lui répond :
- Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi ne pas nous tuer de loin, si c’est si simple ?
Il est dingue. Pourquoi ne pas se foutre à poil tant qu’on y est. Mais l’autre n’est pas gêné de faire la conversation à longue distance, quoiqu’elle s’amenuise.
- Je détiens le dernier sens de ton amie. Notre duel est écrit. Mais je te préviens. Ce n’est pas innocent que je sois le dernier de tes adversaires. Les autres n’étaient que des minables.
- C’est sympa pour eux ! Je suis sûr qu’ils vous tenaient en haute estime également.
Il éclate de rire. J’hallucine, on dirait de vieux potes qui se mettent en boite. Pourtant, quelque chose me dérange. Je scrute l’homme qui s’avance. Bien qu’il soit masqué, sa démarche ne m’est pas étrangère. Il porte une armure qui semble être le juste milieu entre souplesse et solidité. Quelle peut-être la matière ? Du cuir cousu sur une cotte de maille ? Ce n’est pas ses vêtements qui me chagrinent. Non, ça vient d’autre chose. Quand il se remet à parler, je n’en reviens pas :
- Je te propose un duel à mort. Toi contre moi. Ni plus, ni moins.
- Bien sûr, et si je te bats, tes archers nous finiront.
- Si tu gagnes, mes archers ne te poseront plus aucun problème, crois moi.
Le voilà au bas des escaliers. Il se dresse face à nous, de l’autre côté de la petite place ou nous nous trouvons. Si l’intensité du moment n’était pas aussi palpable, je pourrais m’extasier devant la magnificence de l’acropole en arrière plan. 

Dire que c’est un champ de ruine maintenant. Il n’y a bien qu’Eli pour rêver de choses disparues. La fée est inquiète, ça s’entend au son de sa voix.
- Eli, tu ne vas pas le croire.
- Mon amour, s’il ne tient pas parole, tu n’auras qu’à le carboniser. Mais, j’ai une étrange impression. Il ne plaisante pas. Ne me demande pas de l’expliquer, mais je suis convaincu que ce duel va mettre un terme à notre quête, d’une manière ou d’une autre.
Il cueille son visage aux creux de ses mains et pose ses lèvres sur les siennes. Je les ai vu le faire des centaines de fois. Et comme à chaque fois, la jalousie me consume de l’intérieur. Pourquoi lui et pas moi ? Qu’a-t-il de plus que moi ?
Eli pose son arc, son carquois au sol. Il dégaine son gladius tout en se dégageant de l’étreinte de la fée. Je n’en reviens pas de faire et dire ça. Alors que je lui attrape le bras, je lui dis :
- Laisse-le. C’est sa révérence.
Je suis incapable de vous décrire la lueur que j’ai vu dans le regard de cette femme aux allures si fragile. Mais je peux vous assurer qu’elle n’a rien d’une poupée de porcelaine.
Les deux adversaires se jaugent, à quelques mètres l’un de l’autre. Chacun porte gladius et bouclier. Seul le Jarkore porte un masque. Quelque soit l’issue du combat, je suis gagnant. Soit il meurt et je n’aurais plus rien à faire ici. Soit il survit, et la fatigue me rendra la tache plus facile. Je n’ai qu’à savourer le spectacle et attendre la fin.
Ah, ça y est, ça commence !



mardi 11 novembre 2014

Partie 5 - Chapitre 9 - Inspecteur Egala

Partie 5 - Chapitre 9 - Inspecteur Egala.
Entendre la voix d'un étranger quand on téléphone chez soi est extrêmement surprenant. Mais quand le message vous fait comprendre que la personne qui vous est le plus cher au monde est en danger, alors là, la tension monte de plusieurs crans.
- Qu'est-ce que vous voulez ? Ou est ma femme ? Vous n'avez pas intérêt...
- Ola, déjà des menaces... Vous êtes pathétique.
- Qui êtes-vous ?
- Ai-je vraiment besoin de me présenter, inspecteur Egala ?
- Je ne reconnais pas votre voix, ARRÊTEZ CE P’TIT JEU !
Je n’ai pas le temps de passer à la salve d’insultes qui me venait à l’esprit, Kat m’arrache le téléphone des mains.
- Inspecteur Labry, déclinez votre identité.
Un rire éclate, tellement fort que je l’entends bien que le kit main-libre ne soit pas branché.
- Bonjour Inspecteur, repassez-moi de suite votre collègue… A moins que vous ne vouliez avoir du sang sur la conscience.
Kat me tend à nouveau le téléphone. Sa main tremble. Est-ce la peur ou l’énervement ? La voix de mon pire cauchemar me hérisse le poil. Mais ce qu’il me dit me remplit de terreur.
- Votre femme et vos deux enfants ont une heure, peut être deux. Après quoi, l’oxygène viendra à manquer.
Il me donne l’adresse que je répète à voix haute. Kat a déjà mis le moteur en marche. Elle démarre sur les chapeaux de roues. La voix désagréable reprend :
- Vous noterez que je n’ai tué personne. J’ai laissé votre famille en pleine santé. S’il leur arrive quelque chose, ça sera votre faute. Maintenant, je vous laisse, vous avez fort à faire.
De nouveau, un rire sardonique éclate avant de couper la communication. Tout en roulant, Kat avait appelé la brigade pour le plus de collègues viennent nous donner la main. L’adresse est celle d’un grand chantier de construction gigantesque. L’idée même de la surface à couvrir me fait paniquer. Je suis plutôt d’une nature pacifique. Je n’aime pas utiliser mon arme de service, mais la haine grandit en moi au point que je me sens tout à fait capable de loger une balle entre les deux yeux de ce psychopathe. Le problème, c’est que je ne sais pas qui il est.
- C’est Tennant, c’est obligé. Il a du avoir vent que nous étions sur ses talons, du coup, il s’en prend à toi.
Je n’en reviens pas de prononcer les mots qui suivent :
- On n’a aucune preuve. De plus, ce n’est pas parce que nous sommes sur cette affaire que c’est obligatoirement notre suspect. Comment pourrait-il savoir que nous le suspectons ?
Kat tape sur le volant. Elle a l’air autant affecté que moi. Elle me demande d’appeler le QG pour savoir si d’anciens criminels auraient été relâchés récemment. Mon collègue me confirme ce que je pensais, impasse ! Pas de voyous que j’ai mis à l’ombre libérer dernièrement. Nous arrivons sur le chantier. Même le capitaine est de sortie. Il me crie après :
- EGALA, qu’est-ce que vous faite là ?
- C’est ma famille chef, vous ne croyez pas que je vais rester sans rien faire !
- Ce n’est pas ce que je vous demande ! Laissez nous faire ici, les chiens sont déjà en chasse. Retournez chez vous, cherchez des signes éventuels. Votre femme est astucieuse, elle vous aura peut être laissé un indice.
- Chef, vous ne pouvez pas…
- EGALA, C’EST UN ORDRE !
Là, je vois rouge. Je m’avance vers le capitaine, la rage montante me faisant blanchir. Kat essaie de me retenir vainement. Quand il ne me reste qu’un pas à faire, je prends une énorme claque en pleine figure qui m’assomme à moitié. Vu la taille des mains du chef, il n’est pas étonnant que je vois trente six chandelles.
- Quand vous aurez fini de faire votre caprice, vous pourrez faire votre boulot de flic ! Labry, emmenez le, et magnez vous.
J’ai toujours cru que prendre une baffe de la sorte aurait plutôt accru ma rage. Ben non. Le coup m’a clamé direct. A ce moment précis, j’ai l’impression que mes idées se sont remis dans l’ordre. Ce n’est plus l’affectif, mais rationnel qui prend le dessus. Le chef a raison. Nat ne se sera pas fait enlever sans me laisser un indice. A moins que… NON ! Faut que je me concentre sur le rationnel et que je fasse confiance à mes collègues. Je croise le regard du capitaine. Pas un mot de plus, juste un accord tacite entre deux hommes qui se respectent. Dont l’un à une joue toute rouge.
Kat me laisse le volant, j’enfonce la pédale d’accélérateur, direction ma maison. Derrière le bruit du moteur qui vrombit, je laisse mon esprit tenter de faire la part des choses. Je sens pourtant une force en moi saper les fondements de ma raison. Le deux tons hurle, les voitures s’écartent comme elles peuvent. Le paysage défile à grande vitesse. Ma rage me fait prendre des risques qui obligent Kat à me dire :
- Si on meurt en route, ça ne les aidera pas !
Le temps que le concept me parvienne, nous sommes arrivés. La maison est toute lumière éteinte. Je sors mes clés et ouvre la porte. J’appuie sur l’interrupteur tout en dégainant mon arme. Je sais ce que vous vous dites, à quoi bon dégainer, le coupable n’est certainement pas là. C’est un vieux réflexe de flic. Kat et moi nous séparons, elle reste en bas tandis que je prends l’étage. Rien d’anormal dans les escaliers, ni sur le palier. En face, j’ouvre la chambre de mon fils. Comme à son habitude, les jouets traînent un peu partout. La chambre de ma fille est quelque peu mieux rangée mais ne m’apporte rien en termes d’indices. J’avance vers notre chambre. Nathalie a du se changer. Plusieurs tenues sont posées sur le lit. Sérieusement, qui prendrait le temps de choisir sa tenue avant de se faire enlever. Je fronce les sourcils devant le paradoxe de la situation, quand Kat m’appelle.
- Mike, tu devrais venir voir !
Je descends les marches quatre à quatre. Qu’a-t-elle bien pu trouver ? Je déboule dans la cuisine pour voir ma collègue appuyée sur le frigo. Elle tape du bout de son arme sur le planning familial. Il est écrit : « 18H00 Nocturne du zoo ». Kat et moi nous regardons, on se comprend. La pendule sonne vingt heures. Le parc est à l’autre bout de la ville. Voilà déjà trois quart d’heure de passé depuis le coup de fil le plus horrible de ma vie.
- Kat, je me demande si on ne s’est pas fait banané.
- Je n’osais pas te le dire, il n’y a qu’un moyen de le savoir.
- Oui, mais si on se plante…
Je laisse la phrase en suspens car j’entends le bruit d’une voiture qui arrive. Je me précipite vers l’entrée et manque d’envoyer valser mon fils qui courrait dans la direction opposée. Je le prends dans mes bras en le serrant de toutes mes forces. Lui n’en comprend pas la raison, gigote pour se défaire de mon étreinte. Nat arrive, le visage inquiet. Faut dire que la voiture est garée en travers de la route avec le gyrophare qui fonctionne encore.
- Mike, qu’est-ce qui se passe ?
Après avoir reposé le fiston au sol, je serre ma femme dans mes bras en laissant échapper un long soupir de soulagement. Bien qu’elle ne soit pas très friande des démonstrations affectives publiques, elle comprend qu’il y a du se passer quelque chose qui m’a ébranlé. C’est Kat qui explique brièvement à Nat les derniers événements. Puis elle appelle le chef pour lui dire de stopper les recherches.
- Chéri, pourquoi t’aurait-on fait croire à notre enlèvement ?
- Pour m’éloigner de l’endroit ou nous devions effectuer une planque. Je ne vois que ça.
- Alors, retourne vite là-bas, il n’est peut être pas encore trop tard.
Kat sourit de me voir presque mis dehors par ma femme. Je l’embrasse en lui soufflant de bien fermer toutes les portes à doubles tours. Elle acquiesce en me murmurant un « je t’aime ».
Nous reprenons la voiture, mais cette fois-ci en mode discrétion. Kat a repris le volant, elle roule nerveusement démontrant son agacement.
- Si c’est pour nous éloigner de la planque, c’est bien Tennant l’auteur du coup de fil.
- C’est ce que tout semble indiquer en effet. Mais pourquoi prendre un tel risque ? Il doit se douter que maintenant il va avoir un mandat d’amener au cul.
- Tu m’étonnes, le chef était furax. Mobiliser quarante personnes sans compter la brigade canine pour une fausse alerte, tu vas prendre un savon.
- Il m’a déjà mis une tarte, ça devrait suffire non ? Sinon, on la joue comment ?
- On ne rigole plus. On rentre et on arrête tout le monde.
- Ok. On va avoir une longue nuit, tu le sais.
- Ben en fait, on devait planquer toute la nuit, alors, quelques interrogatoires, ça changera.
A peine arrivé au motel, nous nous sommes précipités vers la chambre que nous étions censés surveiller. Un solide coup de pied dans la porte eut raison de la serrure. Ce que nous y avons découvert, nous a surpris. Nous étions loin de nous imaginer que cette personne serait là, attachée aux barreaux du lit à moitié nu. Nous nous sommes approchés, tout en jetant un œil circulaire à la pièce ainsi qu’aux toilettes. Personne d’autre. Je me suis approché pour prendre son pouls.
- Il vit ! Soit il dort, soit il a été drogué. Appelle les urgences qu’ils envoient une voiture.
- Bon, ben, ça ne sera pas pour ce soir l’interrogatoire. Ecoute, Mike, rentre chez toi, t’en a assez bavé aujourd’hui. Je gère. Passe me prendre demain à l’hôpital, je vais rester avec lui cette nuit.

Je ne me suis pas fait prier. A peine ai-je quitté Kat, que je me mets à penser à cent à l’heure. Néanmoins, une seule question m’obsède : Pourquoi ? 

mardi 21 octobre 2014

Partie 5 - Chapitre 8 - Alcinoa

Partie 5 - Chapitre 8 - Alcinoa.
Éli m'inquiète beaucoup. Il est de plus en plus taciturne. On dirait qu'il s'éloigne de nous, de moi. À chaque fois qu'il se réveille, il met de plus en plus de temps à émerger. Je tente de l'inciter à me parler, mais il me répond toujours la même chose :
- Ce ne sont que des rêves.
Des cauchemars, oui ! Il est en sueur. Le regard qu'il porte quand il ouvre les yeux est celui d'un homme égaré. Au départ, lors de notre arrivée dans ce monde, j'avais perdu tous mes sens. Aujourd'hui, j'ai récupéré quatre d'entre eux. Il ne me reste que la vue à retrouver. Pourtant, elle me manque moins qu'au début. J'ai d'abord vu Stauros, puis Basile et maintenant je vois également Éli. Je parviens à distinguer tout ce qui a trait aux éléments, mais je ne vois pas les monstres, ni le décor dans lequel nous évoluons. J'ai bonne espoir de voir à nouveau, dans quelques temps, quand nous aurions vaincu le Jarkore. Mais pour l'heure, c'est l'esprit d'Éli que j'aimerais pouvoir cerner.
Basile est parti en reconnaissance dans la ville avec quelques soldats du général Léonidas. Cela nous sera utile afin de ne pas tomber dans une embuscade. Je tente à nouveau de m'approcher de mon amant.
- Éli. Je t'en prie, il faut que tu m'expliques ce que tu ressens. Raconte-moi ton rêve.
- À quoi bon. Je ne vois pas en quoi ça pourrait nous aider.
- Détrompe-toi. L'oracle a dit que nous ne pourrions réussir que si nous ne formions qu'un. Or, si tu t'enfermes seul avec tes pensées, voir tes craintes, je ne peux t'aider.
Éli me fixe intensément. Est-ce-qu'il me jauge ? Peut être pèse t-il le pour et le contre. Il me sourit, tend la main et me caresse la joue du revers.
- Et si ce que je rêve t'était insupportable ? Ferais-je preuve d'amour en te faisant porter mon fardeau ?
- Une charge est plus facile à porter quand on est deux non ?
- Soit. Seulement, il faut que tu me promettes de me dire exactement ce que tu ressens également.
- Ça parait évident.
- Bien, je vais te faire part de mes deux dernières escapades.
L'utilisation de ce mot me fait déjà peur. Éli n'est pas de ceux qui se fourvoient dans le langage. Chaque mot est choisit avec soin. Il se met à me raconter son rêve. La pièce dans laquelle il se trouve. La sensation désagréable d'être prisonnier de son corps. La présence de Stauros. À chaque fois qu'il termine une phrase, j'ai l'impression qu'il m'ajoute du poids sur les épaules. Il ne plaisantait pas quand il a parlé de fardeau. Il est tout bonnement en train de me dire qu'il serait dans un rêve quand il se trouve avec moi. Ce qui voudrait dire que tout ce en quoi je crois n'est que mirage. Impossible ! Nous avons risqué la mort à de trop nombreuses reprises pour n'être que des chimères. Quand il achève son récit, je reste prostrée. La façon dont il décrit les sensations qu'il a dans ces deux rêves est saisissante. Comment ne faire qu'un avec quelqu'un qui vous apprend que vous n'êtes pas réel.
Lorsqu'il achève son récit, c'est à mon tour de rester prostrée. Il me dévisage en attendant que je respecte ma part du marché. C'est au-dessus de mes forces. Je ne sais que dire. Il le voit et regrette déjà de s'être ouvert ainsi.
- Je suis désolé Alcinoa. Comme je te l'ai dit, ce ne sont que des cauchemars.
- Pourtant, tu sembles leur accorder un certain crédit.
- Je ne sais plus faire la part des choses.
Alors que je m'approche de lui pour qu'il me touche et me dise ce qu'il ressent, Basile revient. Il est tout excité, au point qu'il ne remarque pas la tension qui imprègne la pièce.
- Le Jarkore ! Je l'ai vu !
Nous reprenons nos esprits de concert.
- Comment est-il ?
Basile éclate de rire. Puis prend un air sérieux pour nous répondre.
- Nous avons battus des monstres bien plus impressionnants. C'est bien ça qui me fait peur. C'est un homme, comme nous. Seulement, il sait se battre. Nous avons assisté à l'un de ses entraînements. Il se bat avec furie. Les monstres qui l'accompagnent meurent avec fierté. Ils doivent prendre ça pour un honneur que de l'affronter. Aucun ne l'épargne, ils l'attaquent avec la rage. Pourtant c'est insuffisant.
- Et tu ne trouves pas étrange qu'il vous laisse assister à ses combats ?
- oh, t'inquiète. Nous étions bien planqués.
Éli se lève d'un bond. L'homme hagard a disparu. C'est le guerrier qui empoigne Basile par les épaules.
- Il n'a jamais regardé, ne serait-ce qu'une fois, dans votre direction ?
La question semble décontenancer Basile. Il fronce les sourcils, cherchant à se souvenir avec exactitude de ce qu'il a vu. Alors qu'il se dégage de la prise d'Éli, son visage marque l'étonnement.
- Si ! Une fois ! Effectivement, il a tourné son masque dans notre direction. J'ai compris pourquoi il porte le surnom de masque de mort. La visière de son casque est faite d'os, d'un os pour être précis. Celui de la face d'un crâne humain.
- Il savait que vous étiez là.
- N'importe quoi. Il s'est tourné vers nous parce qu'il a pris un coup de masse. C'est la dernière chose qu'à fait l'homme-rat qui l'affrontait.
Éli bouscule Basile en le poussant violemment. Le ton est dur, inflexible.
- Réfléchis voyons ! Il savait que vous étiez là. Son numéro n'est là que pour distiller la peur !
Je me lève à mon tour afin de me placer entre Éli et Basile qui n'a pas l'air d'apprécier ses insinuations.
- Du calme les garçons. Nous aurons besoin de toute cette énergie belliqueuse face à lui. S'il parvient à nous diviser, alors il a d'ors et déjà gagné.
Éli tourne les talons en pestant. Basile est vexé.
Je m'approche d'Éli. Il regarde par la fenêtre, les bras croisés. Je lui caresse les épaules puis la nuque. Je lui souffle quelques mots à l'oreille.
- Qu'est-ce qui te permet d'être si catégorique ?
Éli tourne la tête vers moi. Son regard est noir. Il est furieux. En fait, depuis le début, c'est toujours à couteaux tirés avec Basile. Il n'apprécie pas que je me mette entre eux. Seulement, nous ne serons pas trop de trois pour affronter le Jarkore. Éli le sait, mais a du mal à l'accepter.
- Je suis si catégorique parce que j'aurais fait pareil. D'abord tu distilles la peur, ensuite, tu passes à l'attaque.
Au même instant, des cris retentissent. Accompagnés par des bruits de mouvements de troupes, Éli conclu par une courte phrase :

- Pour une fois, je n'aime pas avoir raison !

samedi 4 octobre 2014

Partie 5 - Chapitre 7 - Stauros

Partie 5 - Chapitre 7 - Michel Stauros
Ça fait maintenant deux heures que j'essaie de joindre Alicia. Il faut absolument que je la prévienne. Son mari a prononcé, pour la première fois en dix ans, son premier mot. Je me repasse en boucle la vidéo. J'entre dans la chambre afin de réaliser quelques tests cognitifs. Je me vois lui prendre la main, la laisser retomber sur le lit. À l'aide d'un petit marteau, j'administre quelques coups et constate la réaction réflexe. Le tout est bon signe. Son corps réagit bien.
Il m'a fallut revoir deux fois la séance pour déceler l'accélération du pouls. Il était présent, dans son corps. Normal, allez-vous me dire. Oui et non. Il est extrêmement rare d'être spectateur de la genèse d'une résurgence. Mais ça veut dire que mon procédé fonctionne. Le Michel Stauros d'il y a un mois aurait pensé au Pulitzer. Pas celui d'aujourd'hui. Il y a eut trop d'événements depuis le démarrage de cette expérience pour ne pas avoir été changé.
Soudain, un doute m'assaille. Comment savoir si la personne qui a prononcé mon nom est bien Elliot Guerréor ? Depuis le coma de son père, je n'ai pas moyen de savoir quelle conscience émerge. Hector est lui-même plongé dans un coma profond. Il serait mort si Alicia ne m'avait pas obligé à le mettre sous respirateur. En cela, j'ai enfreint la volonté de mon patient pour respecter celle de son plus proche parent, sa bru.
J'échafaude une théorie, déjà pour me convaincre. Ensuite, je pourrais l'expliquer à Alicia. En commutant l'esprit d'Hector à celui de son fils, il est possible que sa conscience ait migrée. Je vois deux raisons à ça : premièrement, la volonté qu'il avait de parler à son fils avant de mourir. Deuxièmement, le désir qu'à tout être de se raccrocher à la vie. Or, son corps étant abîmé par la maladie dégénérative dont il est atteint, il en avait l'opportunité. Le problème reste que dans ce voyage, il faut également pouvoir rester en vie. Puisque je fais subir à Éli un voyage initiatique qui est loin de tout repos, Hector s'est peut être mis en danger. Si la personnalisation d'Hector se fait tuer dans le rêve de son fils, peut-il revenir ? Y-a-t-il un lien entre la conscience de l'être humain et son corps ? La science n'a rien établit sur le sujet. Toujours est-il qu'Hector ne répond à aucuns stimuli réactionnels. Pourrait-il entrer en contact avec moi via le corps de son fils ? Il faut que je me prépare quelques questions pour pouvoir identifier celui qui me parle. Dans l'éventualité ou il me parle à nouveau.
J'ai retracé les différentes séquences du parcours d'Éli. J'en suis venu à être à 70% convaincu qu'il devait dormir dans son rêve. Ce qui induit qu'à son prochain sommeil, il se peut qu'il revienne à la réalité. Cette hypothèse serait factuelle si la conscience d'Hector n'avait pas migré. Qu'est-ce qui pourrait accréditer la thèse de la migration ? Il me faut revoir les vidéos plus anciennes. Celles ou Hector est en contact avec son fils. Si son corps réagit, ça pourrait dire qu'il n'y a pas de migration mais collaboration.
Je glisse le pointeur de mon écran vers un fichier vidéo plus ancien. D'après mes notes, Éli n'est pas encore arrivé à Delphes quand il rencontre son père. Je divise l'écran en deux. À gauche, je mets Éli, et à droite son père.
Les réactions des deux hommes coïncident à plusieurs moments. D'abord de manière fugace, comme si l'un des deux ne partageait pas la rencontre. Puis il y a correspondance. Éli a son pouls qui accélère, alors que celui d'Hector se calme. Il a dû, à ce moment précis, entrer en contact avec son fils. Le fait d'y parvenir le rassure.
Peu après, ils doivent combattre. Chacun est nerveux, leurs corps sont pris de soubresauts. Comment ça a pu m'échapper ? Je n'en reviens pas. Le rêve doit être particulièrement violent. Leurs respirations s'emballent. Soudain, Hector est saisi de spasmes. Il se raidit, chaque muscle de son corps est crispé. Puis il s'affale. Son cœur s'arrête. C'est à ce moment que le personnel intervient pour le réanimer. Il sera intubé car il ne parvient plus à respirer seul.
J'en conclu que l'esprit d'Hector devait bien être dans son corps. Ce qui induit que c'est Éli qui a prononcé mon nom. Je suis songeur quand je coupe la vidéo. Je laisse l'écran partagé et affiche le direct. Éli est calme, je ne sais pas ce qu'il rêve, mais rien ne semble l'affecter. Par contre, je discerne quelque chose de changer chez Hector. Ses yeux "roulent" sous ses paupières. Je me lève pour aller voir ça de plus près. J'entre dans la chambre et m'approche d'Hector. Il rêve !
- C'est génial ! Il n'est pas mort.
Mon enthousiasme m'a fait parler à voix haute. Je me demande s'il pourrait respirer seul. C'est délicat. Je débranche le tube du respirateur. Rien ne se passe. Je regarde ma montre. Pas plus d'une minute et je rebranche. Tout ce qui se passe autour de moi disparaît pour ne laisser que le cadran de ma montre. La trotteuse franchit le "3". Toujours rien d'autres que les mouvements oculaires. 
"6". Je sens la sueur perler sur mon front. J'aimerais tant que ce vieil homme puisse revenir. Il serait témoin de la résurgence de son fils. Il pourrait lui parler de vive voix. Je n'ai pas le privilège d'être père, mais j'imagine qu'il y a des choses que l'on souhaite dire avant de partir. 
"9" J'approche l'embout du tube du respirateur. 
"10". Quel dommage. 
"11".
- Allez Hector, secoue-toi !
Il prend une grande inspiration, comme un homme qui passe la tête hors de l'eau.
- OUI ! C'est ça, respire !
Le souffle passe par le tuyau. Sa poitrine se soulève et s'abaisse en signe d'une respiration, fébrile certes, mais tout de même.
J'ai bonne espoir que son esprit revienne et qu'il reprenne connaissance sous peu. Je prends une chaise et m'assoie à proximité. Je souffle en m'adossant. Qui a dit que les médecins avaient une vie tranquille ?
Il faut que j'arrive à joindre Alicia. Je choisi de lui envoyer un texto, il est quand même deux heures du matin. Je vais devoir veiller toute la nuit.
Tandis que je laisse mon esprit vagabonder, Éli entre dans une phase de rêve. Il s'agite sur son lit. Sa tête tourne d'un sens puis d'un autre. Qu'est-ce qu'il voit ? Il a dû arriver à Athènes. À moins qu'il ne soit en train de traverser, les lignes ennemies. Non, j'ai remarqué que quand il combat, ses poings se crispent. Ce n'est pas le cas. Je me lève pour m'approcher. Sa tête s'immobilise. Son pouls s'accélère à nouveau. Je m'approche. Au moment ou je tends la main vers son visage pour soulever une de ses paupières, il le saisi le bras fermement. Je sursaute.
- Stau....ros...
- Éli, vous m'entendez ?
- O... Oui !
- Excellent ! Savez-vous ou vous êtes ?
- Athènes...
- Oui, enfin, non, ici, savez-vous où vous êtes ?
- Jarkore... Qui est...
- Éli, Athènes est un rêve. Là, vous êtes dans le monde réel.
La pression de sa main se relâche. A-t-il compris ce que je lui ai dit ? Alors que j'essaie de me dégager, l'étau se resserre.
- Stauros... Je vous haïe.
La prise se rompt. Il laisse tomber son bras sur le lit. Sa dernière phrase m'a glacé le sang. Alors qu'il me tenait le poignet, ses paupières se sont ouvertes. Il m'a toisé d'un regard absent mais particulièrement méchant. C'est dingue ! Je jurerai qu'il était aveugle. Ce constat signifie qu'il n'a pas encore récupérer la vue. Par contre, il faut à tout pris que je parvienne à lui implémenter des pensées moins belliqueuses à mon égard.
Il faut que je retourne à mon labo. Que je prépare la dernière phase. Autant dire que j'ai intérêt à être convaincant ! Je jette un œil vers Hector. Ses constantes sont régulières.
- Je peux continuer à le surveiller du bocal.
Je me précipite vers mon bureau afin de ne pas rompre la surveillance trop longtemps. J'entre, referme la porte derrière moi et m'assoit devant mon écran. En voyant une silhouette en reflet, je percute qu'il y a quelqu'un derrière moi. Je n'avais pas fermé quand je suis sorti voir Hector.
Trop tard !
Ma dernière sensation est une horrible douleur à la tête.

Tout devient noir...